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contre un battement de cils

Fonds de dotation Weiss, Paris 

Avril 2023

Louis Verret

Eugénie Touzé explore le paysage et ses composants, tant dans sa réalité que dans son archivage numérique. La caméra capte les variations infimes, les flous de formes - dans le pixel ou dans l’environnement - qui laissent à croire des apparitions et suspendent le temps du film. La projection transmue vers l’organique et l’éphémère.

Accueillir, cueillir, recueillir

association Fertile, Paris

Mars 2023

Henri Guette

 

C’est par l’objet caméra, par le cadre de l’appareil photo qu’Eugénie Touzé trouve la bonne distance pour approcher un espace. L’enregistrement photo-vidéographique permet une concentration apaisée et interrogative sur le monde vivant. À la suite d’un séjour Erasmus à Reykjavík en 2020, l’artiste est confortée dans sa volonté de développer son travail dans des espaces isolés. Elle fait corps avec l’objectif jusqu’à éprouver le sentiment de présence sous-jacent à chaque paysage, à chaque fragment d’espace.

AROUND VIDEO. 2 : montée en puissance et vraies découvertes !

Hôtel Moxy, Lille

Octobre 2022

Marie-Elizabeth De La Fresnaye

> 9 Lives Magazine

 

Stéphanie Pécourt, directrice du Centre Wallonie-Bruxelles a justement porté son attention sur Eugénie Touzé – invitée par la Galerie Sono - qui filme des moments à peine perceptibles, qui demandent de la patience, dans des jeux de flou et de vertige. Comme dans la photographie pictorialiste qui cherchait à imiter la peinture à ses débuts.

Around Video in Lille

Hôtel Moxy, Lille

Octobre 2022

Odrija Kalve

> Arterritory

 

Centre Wallonie-Bruxelles (an art institution that disseminates and promotes artists based in the Wallonia-Brussels Federation) also chose their favourite at the fair – Galerie Sono (Paris), with the painterly video "J’ai cru voir" by Eugénie Touzé in which with the sensitive eye of the camera, the artist follows the activities going on in a forest thicket. It becomes darker and darker, visibility fades, and the result is a crackling image full of coloured flecks in which white silhouettes suddenly appear.

Beaux-Arts de Paris

Octobre 2021

Camille Paulhan

 

Eugénie Touzé aime à dire qu’en photographie, elle se met en quête d’une image, tandis que dans son travail vidéo, elle attend que celle-ci apparaisse. Parfois, la magie n’opère pas, et il lui faut patienter jusqu’à la prochaine épiphanie. Mais cela ne lui fait pas peur, elle qui n’aime rien tant que poser son trépied, définir un champ, cadrer et espérer qu’un possible advienne. Pour son installation de diplôme "UNE TEMPÊTE DANS UN VERRE D'EAU", il était question de moments de transition parfois à peine perceptibles : c’est, par exemple, celui où la pluie, qui auparavant bruinait doucement, recouvre les corps jusqu’à les détremper. C’est ce moment si précis où le vent transforme le tourbillon en tempête, faisant tanguer dangereusement les bateaux amarrés au port. C’est aussi les jours où les nuages demeurent lourds, et où les animaux croisés paraissent être les gardiens d’un secret dont eux seuls disposent, ou encore l’éblouissement du soleil couchant, faisant apparaître à la surface d’une image un orbe doré. Eugénie Touzé capture les fantômes insaisissables d’instants qui n’ont rien de spectaculaire, dans lesquels la mise en scène est la plupart du temps absente. En bonne chasseuse de papillons, elle se laisse porter parfois par le hasard, parfois par des coïncidences, en oscillant constamment entre ses deux médiums de prédilection. Chez elle, les photographies semblent s’animer, tandis que certaines vidéos recèlent une fixité trouble : est-ce nous qui ne clignons pas suffisamment des yeux ? Elle l’admet volontiers : plutôt que de revendiquer un discours franc, elle préfère parler de doute, dont naît le merveilleux. Et derrière cet ensemble de vidéos dans lesquelles plane un mystère bleuté, une mélodie faite de crachins légers comme d’averses drues enveloppe l’espace ; l’orage gronde.

Extrait de l’intervention à deux voix : La caméra au corps

Colloque L’art tout contre la machine

Collège des Bernardins, Paris

Octobre 2019

Doriane Molay

Sa pratique est en réalité un tête-à-tête entre son corps féminin et la machine caméra. Elle fait émerger une danse, un va-et-vient silencieux mais profondément à l’écoute de ses intuitions et croyances. En s’installant à la fois au-dehors et au-dedans, dans le paysage et dans le corps, par le photographique et le vidéographique, au-delà des mots et au cœur de l’image, sa pratique élabore et met en scène un lieu à part entière, un espace visuel où se révèle l’attention, où se dessine une foi et où s’étend le temps. Les mouvements de ses films sont si lents que nous pourrions douter de leur existence. Ils permettent une concentration accrue et captivante, suspendant le rythme chronophage d’une vision souvent sursollicitée, au moyen de la machine – caméra, ordinateur et vidéoprojecteur –, bousculant l’idée benjaminienne que, si le tableau reste l’espace de la contemplation, le film ne peut pas l’être[1]. Ainsi, espace d’attente et de recueillement, la nature dans laquelle déambule Eugénie devient propice à l’introspection, jusqu’au dessaisissement de soi dans un mouvement que Marie-José Mondzain qualifie d’amputation[2]. Chez elle, la compréhension de l’au-dehors et de l’en-dedans du corps est une question de machine, quelque chose de presque improvisé[3], ce que Benjamin détermine dans sa Petite Histoire comme un champ tramé par l’inconscient puisque la caméra ne donne à voir que ce que l’œil seul ne peut pas voir[4]. L’appareil fait mémoire, porte un regard qui ne sait pas toujours qu’il voit mais qui enregistre et emmagasine. La caméra est, pour Eugénie, le moyen de la révélation des paysages, qu’ils soient étendues d’eau ou corps étendus. À la question qu’est-ce que le paysage ?, Gilles Clément répondit lors de son entrée au Collège de France : « Ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé de regarder ; ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé d’exercer nos sens au sein d’un espace investi par le corps[5]. » Voilà ce qu’elle produit : des paysages regardés par le corps, gardés en mémoire par la chair. 

[1] Benjamin Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, trad. de l’allemand par L. Duvoy, Paris, Éditions Allia, 2006, p. 47.

[2] Mondzain Marie-José, « L’image entre provenance et destination » in Alloa Emmanuel (dir.), Penser l’image, Paris, Éditions Les Presses du Réel, coll. « Perceptions », 2011, p. 53.

[3] Nous faisons ici référence au dialogue d’Eisenstein et de Richter retranscrit à la p. 83 de l’ouvrage d’Erik Bullot, Sortir du cinéma. Histoire virtuelle des relations de l’art et du cinéma, Genève, Éditions Mamco, 2013 : « Ce n’est pas une histoire, ce n’était rien, j’ai improvisé. – Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, il faut quand même que vous ayez eu une histoire, un propos, un sens pour ce film ? Et moi : – Non ça m’est venu seulement après quand j’ai fait le montage. J’ai vu ce matériel, j’ai vu que tout était dans la même direction : c’était la vie des objets et comme, dans leur vie, ils voulaient aussi avoir leur liberté, alors je leur ai laissé cette liberté. C’était la liberté de l’objet. »

[4] Benjamin Walter, Petite Histoire de la photographie, trad. de l’allemand par L. Duvoy, Paris, Éditions Allia, 2012, p. 17 : « La nature qui parle à l’appareil photographique diffère de celle qui s’adresse à l’œil ; elle est autre, avant tout parce qu’au lieu d’un espace consciemment élaboré par des hommes, c’est un champ tramé par l’inconscient. »

[5] Clément Gilles, Jardins, paysage et génie naturel : Leçon inaugurale prononcée le jeudi 1er décembre 2011, Paris, Éditions Collège de France [en ligne], 2012, p. 6 : http://books.openedition.org/cdf/510 (consulté le 23-08-2020).

 

 

et ce serait un jardin

Le dix-sept, Paris 

Décembre 2023

Virgile Legavre-Jérôme

Le regard que pose l’artiste sur le paysage ignore les séparations que l’homme inflige à l’espace. L’artiste est insensible aux limites d’une campagne puisque l’œuvre dicte son propre cadre. Qu’il s’agisse de la mesure d’une toile ou de l’étendue d’un négatif, le support est un jardin. L’artiste en arpente la surface comme le jardinier son enclos. Profondeur de champ, nuances et perspectives sont des outils. Ils estompent ce qui, au-dedans de l’œuvre, ferait obstacle au désir inépuisable qu’a le paysage de se déployer.

Les images, toiles, installations, réunies à l’occasion de cette exposition, confondent ou effacent, chacune à leur façon, la frontière qui existe entre un jardin et le paysage qui le prolonge. La frontière devient une donnée superflue, mal adaptée, grossière. Rien ne compte plus que ce beau mot de lisière – intervalle ténu et indistinct où, comme par mégarde, le jardin devient paysage. Réunies, ces œuvres finissent par composer un ensemble non domestiqué. Friche, terrain, jachère, c’est l’esquisse d’un « paysage sans repos »[1] qu’on devine.

Ces pièces abordent-t-elles frontalement le jardin ? Elles empruntent à l’intime, au flou, à l’abstrait. Chaque œuvre est une veduta sur un paysage ou sur une métaphore de celui-ci.Toutes s’abstiennent de raconter directement la nature, préférant à la narration, trop évidente, l’exploration d’une émotion incertaine – retrouvée ?


[1] Ryoko Sekiguchi, Héliotropes, Paris, P.O.L, 2005.

 

Terra Mater

Sid Lee, Paris 

Juin 2022

Marilou Thirache

Terra Mater vous invite à faire corps avec la terre.

Cette exposition emprunte son titre à la déesse mythologique romaine Terra Mater, mère de toutes choses, apparue au commencement du monde, personnifiant la nature. Née du chaos, elle est à l’origine de la vie sur la terre. Elle incarne mère nature, la mère nourricière et fertile. Cette figure divine abrite en son sein abondance et protection. Elle est source de toute vie sur terre, une déesse créatrice primaire et juste envers ses créations. Elle fait écho à notre relation fondamentale à la nature et à tout ce qu’elle nourrit.

A l’origine de l’exposition, la volonté d’exposer le film expérimental, la volonté de (re)mettre en valeur cet art filmique qui est de l’ordre de l’expérimentation et de l’expérience définie comme quelque chose qui "intervient au hasard sur un phénomène pour y provoquer l’apparition de faits, dont on n’a au début, aucune idée". Ces films à visées contemplatives, poétiques, engagées, qui nous interrogent, nous bousculent dans la façon de percevoir le quotidien, les paysages naturels qui nous entourent, notre condition humaine, notre identité, notre corps. Nous nous retrouvons faces à elles et nous en faisons l’expérience. Expérience contemplative, parfois éprouvante, souvent déroutante. Autour de ces films expérimentaux, une pratique artistique avant tout, englobant installations, photographies, performances. 

 

L’exposition se présente comme une promenade dans l’espace où dialoguent des artistes issues de différentes générations et de diverses pratiques artistiques. Les artistes présentées pour cette exposition abordent des thématiques fortes. Elles nous invitent à penser et à interroger notre rapport à la nature, au corps, à la mémoire, à l’identité.

 

Elles font portrait. Portraits contemplatifs de la nature érigée en événement, comme Une tempête dans un verre d’eau chez Eugénie Touzé. Portraits qui questionnent les frontières entre corps humain et végétal, À la recherche des amazones, chez Marcelle Thirache. Portraits de femmes enfermées, cloisonnées dans une Maison sans clé, en proie à un combat intérieur lié à la matérialité de l’espace qui les emprisonne et leur désir de liberté chez Marta Skoczeń. Portraits déroutants, psychédéliques de Coquelicots dansants, qui altèrent et ouvrent nos champs perceptifs chez Rose Lowder. Portraits sensoriels où corps humains et mondes vivants interagissent chez Bianca Lee Vasquez. Portrait double d’un intérieur sombre, cruel ouvert sur un extérieur lumineux et luxuriant, entre dedans et dehors, entre absence et présence chez Martine Rousset. Portrait d’une ville comme un corps lacéré, illustrant la condition et la destinée humaine chez Mariana Hahn.

L'Appel

Palais des Beaux-Arts de Paris,

Février 2022

Cécile Gauclère

 

Dans un espace feutré dont l’entrée semble à peine révélée du Théâtre des Expositions - "joyeux laboratoire, désordonné et expérimental [mettant] en jeu le principe même d’exposition" au sein du Palais des Beaux-Arts de Paris, Eugénie Touzé nous invite à entendre "L’Appel". Et bien que temporaire - du 3 au 27 février - il est puissant.

Depuis le bas des quelques marches qui nous invitent à entrer, on pense franchir le seuil d’une cabane - peut-être mentale, à l’image de celles de Marielle Macé. Mais cet espace qui nous accueille se transforme en forêt, tantôt inquiétante, tantôt curieusement familière.


À l’entrée de ce lieu plongé dans le noir, les petites sculptures en bois de Vincent Laval semblent disposées pour que nous nous servions : "choisissez votre arme" nous chuchotent-elles tandis que le ronronnement des vidéo-projecteurs finissent de nous immerger dans cette forêt obscure. Le son de nos pas résonne sur le parquet laissé à nu, comme il le ferait sur les branches d’un sous-bois qu’on arpente : cette exposition lui offre une respiration, une véritable existence, rappelé ici à ce qu'il est profondément, un agencement de pièces de bois qui vivent, gonflent, se déforment et craquent. C’est le retour vers le primitif, comme mentionné dans le texte d’ouverture.

Les œuvres disposées, voire éparpillées le long de cet étroit couloir forment un réseau d’indices fascinants, tantôt sculptures, tantôt images photographiques et vidéo.
On s’arrête volontiers pour scruter les têtes animales incrustées dans de petits outils fabriqués par Hélène Janicot, ou encore pour tenter de percer le secret de fabrication des cornes de 43°, un bomber blanc immaculé suspendu au mur par Louise Covillas, dont on ose à peine s’approcher, comme on le ferait d’un animal endormi, voire mort.

Mais quelque chose nous pousse à suivre la piste, à se frayer un chemin pour trouver une réponse.
Pourtant, ce chemin est semé d’embûches : les longues branches d'osier de Dorine Bernard nous menacent, les morceaux de ruche fixés à leurs bouts brandissant la menace du retour des abeilles. Et le bourdonnement est proche, les appareils de projection vidéo imitant le souffle chaud d'un animal tapis dans l’ombre. À peine plus loin, on manque de se laisser attraper par la ligne tendue par Pauline de Fontgalland.

La clairière de plâtre blanc disposée par Myriame El Khawaga nous offre un instant de répit, mais se craquèle aussitôt sous nos pieds, nous forçant à reprendre la route.

Finalement, nous y sommes : derrière la palissade de bois brûlé de Jules Lobgeois nous attend une promesse, annoncée par le projecteur à diapositives rotatif vintage. Le son du mécanisme de projection est omniprésent, et comme un souvenir ancré dans une mémoire collective, on attend avec impatience le déclic en trois temps qui indique que l’appareil passera d’une diapositive à la suivante. Et pourtant, il n’en est rien. C’est la même image : une meute de loups dont on ne sait pas s’ils jouent ou s’ils se battent, couleur sépia. On se demande s’il y a un problème, notre attente est frustrée, on se tient sur le qui vive. On n’ose plus cligner des yeux : il ne faudrait pas manquer le moment où l’évènement décisif va se passer, indiqué par un cliquetis ou bien, enfin, un hurlement.

Cette pièce finale, La Volée d’Agnès Geoffray, est le parfait point d’orgue à cette exposition qui est plus proche en réalité d’une installation immersive collective. Les pièces des jeunes étudiant·es bientôt diplômé·es de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris ont été savamment disposés par une commissaire qui est avant tout une ancienne camarade : Eugénie Touzé est en premier lieu artiste, photographe et vidéaste.

Cette exposition n’est pas si différente de son travail artistique : là où elle a pris l’habitude de poser un appareil photo ou une caméra sur un trépied et d’attendre, assumant la possibilité qu’aucun évènement n’advienne, elle a cette fois-ci posé cette installation, dans laquelle tout de même les images occupent une place de choix (photographies, prises ou trouvées, et vidéos).

En nous invitant dans cette cabane devenue forêt, elle nous a plongé·es dans un environnement qu’elle a su rendre parfois menaçant, d’autres fois extrêmement familier, toujours parfaitement rythmé. Et dans cet espace où l’on est à la fois regardé·e et regardeur·euse, elle semble être juste là, derrière nous, à guetter peut-être l’évènement dont nous pourrions être les instigateur·ices.

 

Elle-même inspirée par la nouvelle de Jack London, par les écrits de Baptiste Morizot ou encore de Jean-Christophe Bailly, elle a répondu à l’appel d'un courant de pensée particulièrement soutenu en France actuellement, par exemple par la collection "Mondes sauvages / Pour une nouvelle alliance" chez Actes Sud ou encore par la revue Socialter. Ce cercle intellectuel défend une nouvelle approche des mondes vivants dans lesquels nous nous insérons, propose aux humain·es d’explorer la nature de leur lien avec l’animalité, présupposant que ce lien existe et qu'il est essentiel.

Eugénie Touzé, forte de cette assise intellectuelle, nous fait alors part de son propre appel. Ainsi, elle dispose une sortie en bout de parcours, après laquelle nous attendent encore les deux pièces uniquement sonores de Margot Bernard et Louise Le Pape. Elles sont sûrement la réponse que nous cherchions dès le départ. Plutôt que de rebrousser chemin pour revenir à la clarté presque aveuglante de l’entrée du Théâtre des Expositions, on nous propose de fuir entre deux rideaux noirs et lourds posés juste derrière nous alors que nous regardons cette dernière image qui ne bouge pas de loups en meute. Elle ne nous appelle pas à l’intérieur de cet espace obscur, mais bien au contraire au dehors, à la rencontre du primitif dont nous nous sommes coupé·es si longtemps.

Deux îles, exposition de Mathilde Cazes et d’Eugénie Touzé

Galerie Sono, Paris

Septembre 2021

Pauline Lisowski

Deux îles, territoires insulaires éloignés l’un de l’autre aux paysages extrêmes furent les terrains d’exploration de deux jeunes artistes. Elles ont pris le temps d’observer ce qu’elles découvraient au fil de leurs promenades, de leurs randonnées, attentives à des détails et matières témoignant du vivant. De la Bretagne, Mathilde Cazes est allée au Japon et Eugénie Touzé est partie de Normandie vers l’Islande, deux périples durant lesquels elles ont pris le temps de se laisser captiver par ce qu’elles découvraient.

Mathilde s’est attachée à la place de la nature, végétale et animale qui reprend ses droits sur une ville dévastée. Son exploration de Kyoto l’a amenée à s’intéresser à l’esthétique minimale et à saisir des instants du quotidien. Eugénie a cherché à s’approcher le plus possible de l’horizon durant de longues marches. 

À la galerie Sono, leurs démarches artistiques se répondent et proposent deux manières de donner à voir le paysage et la nature, encore sauvage, par endroit.

La vidéo d’Eugénie introduit son voyage vers un territoire gigantesque, encore vide et peu impacté par l’homme. "J'ai choisi d'aller là-bas entre autres pour être confrontée à un sentiment de solitude intense, où la place de l'environnement serait semblable à un dépassement vis-à-vis de l'Humain." témoigne-t-elle.

Si elle privilégie le grand format pour révéler des paysages auxquels elle s’est confrontée, Mathilde préfère le petit format pour préserver ce qu’elle considère comme précieux et cher à ses yeux. "J'aime m'approcher de détails qui participent à constituer un paysage. Le lointain n'est pas ce que je regarde. Je reste au premier plan, à ce qui est devant moi et près de moi, et qui fait partie du paysage in fine. La photographie me permet de capturer ce détail, qui m'évoquera plus tard le souvenir du paysage. Elle me permet de prendre position, d'évoquer le petit pour parler du grand.", explique-t-elle.

Ses images révèlent son observation d’une nature cultivée, proche de l’esthétique du quotidien au Japon. Les animaux qu’elle prend en photo nous tournent le dos, nous regardent à peine ou se cachent... Ils ne sont pas tout de suite reconnaissables et nous pouvons y voir d’autres espèces...

"J’aimerais que l'on puisse en saisir l'équilibre fragile, où chaque élément a sa place, que celle cultivée nous laisse envie de laisser celle sauvage au repos", affirme Mathilde en songeant à la nature. Au sol, sa sculpture en verre contient de l’eau de mer de Normandie, tentative de préserver un fragment d’un paysage en mouvement.

En contemplant les tirages photographiques grand format d’Eugénie, l’immensité d’un paysage se donne à voir. "Je cherche à concentrer le regard et l'écoute sur des détails dans des situations qui peuvent sembler anodines mais qui se révèlent primordiales : des apparitions et disparitions, des transitions, des oscillations... et ce toujours dehors." explique-t-elle. Ses images peuvent nous faire penser à la figure de l’explorateur, qui se confronte à des lieux difficiles d’accès. Les couleurs de différents bleus leur apportent une atmosphère entre jour et nuit. 

"Je cherche toujours, je crois, à renforcer le sentiment d'une nature aussi silencieuse que vivante. Il n'a jamais été aussi primordial d'écouter la nature et les messages qu'elle nous transmet. La nature communique avec nous à travers ses phénomènes." témoigne par ailleurs Eugénie.

Cette exposition témoigne ainsi de deux attentions au paysage et au vivant, dont il est nécessaire de prendre le temps d’observer et de soigner. Notre regard circule d’un territoire à un autre, dans un aller-retour d’une contemplation de grands paysages, où l’homme peut se sentir perdu, à des détails de fragments de nature, de fleurs, d’animaux, signe d’une vie dans une mégalopole. Tout est affaire de perception, d’attention aux détails du vivant et aux paysages mystérieux.

COUP DE PROJECTEUR

PhotoSaintGermain

Novembre 2019

Guitemie Maldonado

          Il est une fenêtre à Lacock Abbey, dans le Wiltshire, devant laquelle on ne passe pas sans quelque émotion : c'est la fenêtre à croisillons qui a donné lieu au premier négatif sur papier qui nous soit connu. En août 1835, William Henry Fox Talbot en a enregistré l'image au moyen de l'une de ses petites chambres, que son épouse avait malicieusement surnommées mousetraps, souricières. La boutade tombe on ne peut plus juste, tant parce que la lumière se glisse dans la plus petite des ouvertures que parce que c'est bien d'un piège qu'il s'agit. Et redoutablement efficace qui plus est, Talbot accompagnant son négatif d'une note où il indique qu'à l'origine et à l'aide d'une loupe, on pouvait dénombrer les carreaux de verre que compte la fenêtre : aux alentours de deux cents. La prouesse est d'autant plus notable que l'image obtenue mesure à peine 2,5 centimètres de côté. Et quoi de mieux qu'une fenêtre pour fournir l'un de ses premiers sujets à la photographie naissante ? Servi par une journée particulièrement ensoleillée, Talbot a véritablement fait tracer par la lumière les contours et la structure de la fenêtre, ses croisées dessinant en creux ses carreaux ; ainsi mettait-il en pratique et en scène l'étymologie même du terme et en abîme la nature du dispositif : optique comme la fenêtre, il donne, comme elle, à voir le monde. 
          De ces premiers moments, la photographie conserve bien souvent ces jeux de miroir, cette réflexivité, cette façon qu'a l'image de renvoyer au procédé qui lui a donné naissance : que l'appareil ou ses composantes (flash, lentille, déclencheur, câble) soient visibles ou que soient mis en œuvre des symétries, des visées (ouvertures, tunnel, trouée d'un chemin, loupe, niveau laser), des vitrines, des écrans et des encadrements qui, prélevés ou orchestrés, fournissent autant de métaphores du fonctionnement du regard, de la mise au point, du choix, de la découpe dans le réel. Et plus profondément encore de la décision, de l'intention qui, avec la technique, détermine l'image, car comme l'écrit John Berger, "la photographie consiste à rendre l'observation consciente." . L'espace de l'exposition avec ses vitrines, ses cloisons vitrées, ses paliers et ses décrochements, ses emboîtements et la hauteur de ses murs qui invite à y faire flotter les images amplifie encore cette conscience ; de somme de contraintes, il devient ainsi ouvroir de possibles, machine à voir autant que l'est l'appareil. Là, nous regardons le monde, en tous ses détails, des Objets aux figures, en passant par les paysages, et ce pour la simple et cruciale raison que le monde nous regarde, au propre comme au figuré. 

          A ses débuts, la photographie a pu servir de preuve et les implications de cet usage, bien que sans cesse questionnées, n'en sont jamais totalement évacuées. Car il y va, dans le rapport à la photographie, de l'existence du réel et du sujet. L'inventaire et la collection, effectifs ou simplement potentiels de photogrammes de films montrant des mains à des toilettes publiques, en passant par un joueur de base-ball qui ne manque pas d'évoquer ses équipiers, participent au premier chef de cette "vue globale de la réalité" que "toute photographie" permet "d'examiner, de confirmer et de construire". Le nombre y contribue : une chienne, un visage, deux mains gantées, deux poissons, un double portrait, trois prises de vue, trois positions, un corps allongé découpé en trois bandes, les six faces d'un cube. Et combien de meules ou de bijoux ? 1-2-3-4. Le jeu, la ritournelle mènent parfois celui qui s'y livre au seuil du vertige. D'autant qu'il s'agit toujours de questionner le voir, ou même de le déstabiliser : par l'empreinte directe et redoublée de formes sur du papier sensible (photogramme), par la superposition de deux prises de vue, en photographiant un film, en filmant une image ou simplement une scène immobile, en retournant l'appareil sur lui-même ou en scannant des sols, en créant du flou, par la distance qui grossit ou rétrécit. Mais aussi par des jeux de travestissement, de ressemblance (Pasolini ?), par la magie d'un bloc de fumée ou la trivialité d'une moquette tachée qui donne à voir sa trame, par le miroitement insituable que produisent une vitre couverte de buée ou des écailles dorées, par l'étrangeté d'une main tenant un poids ou d'une vue plongeante sur l'arrière d'une tête équipée d'un appareil auditif. Et quand le dispositif se donne à voir, telle une bâche sérigraphiée qui se retrousse et se soulève révélant voir ses dessous, telle une lentille passée au scanner, les confortables certitudes vacillent, à l'exception de celles qui, inlassablement, nous poussent vers les photographies : celle qui, dans ce que Nicolas Bouvier qualifie d' "exercice de lecture à vue", fait de nous des spectateurs actifs, celle surtout de ne jamais en avoir fini avec les images et encore moins avec le monde.

Ancre 1
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